Peut-on réutiliser un substrat usagé de champignon ? Saviez-vous que pour chaque kilo de champignons produit, on se retrouve avec environ 5 à 6 kilos de substrat usagé ? En 2023, il a été produit en France, environ 1000 tonnes de pleurotes et de shiitakés, soit entre 5000 et 6000 tonnes de substrat usagé. Dans cet article, je vous explique ce qu’est un substrat usagé à champignons, es-ce que l’on peut le réutiliser? Et surtout comment.
Qu’est-ce qu’un substrat usagé de champignons ?
Le substrat de champignons usagé est le substrat qui reste après la fin du cycle de culture complet d’un champignon. Dans le cadre commercial, c’est le moment où la culture devient non rentable et que le vieux substrat doit être remplacé par un nouveau substrat.
Dans cet article, je ne parlerais pas du compost usagé des champignons de Paris, mais spécifiquement des substrats usagés ligneux, à base de sciure ou de paille, provenant de la culture de champignons lignivores, comme le pleurote ou encore le shiitaké.
Peut-on réutiliser le substrat usagé de champignons ?
Une réponse courte serait oui. Dans son livre Growing Gourmet and Médicinal Mushroom, Paul Stamets explique qu’il est théoriquement possible d’utiliser un substrat usagé comme base pour une nouvelle culture de champignons.
Il donne l’exemple d’un substrat de shiitaké, qui peut être utilisé pour cultiver des pleurotes et par la suite des champignons de Paris par exemple.
Chaque champignon se nourrit et dégrade le substrat de façon légèrement différemment. Le shiitaké ayant besoin d’une matière plus ligneuse de base, on utilise donc un substrat neuf. Par la suite sur ce substrat usagé, il serait possible de cultiver des pleurotes, qui peuvent utiliser la matière partiellement dégradée par les enzymes du shiitaké. Enfin, on cultiverait le champignon de Paris après compostage du reste du substrat.
Un autre bon troisième champignon pour ce processus serait Agaricus blazei Murill qui est capable de pousser sur sciure comme sur compost. Dans ce cas-là, il n’y aurait pas besoin de composter le substrat issu de la culture de pleurote.
De quelles manières peut-on réutiliser un substrat à champignons ?
Bien que l’on puisse utiliser le substrat usagé de champignon pour de nouvelles cultures, vous pouvez l’utiliser pour tout un tas d’autre application :
- Mycoremédiation (Air, eau, sol, pesticides)
- Production de cultures végétales (cultures sous serre, cultures de plein champ, amendement/fertilisant général du sol, pépinière et aménagement paysager)
- Création de matériaux de couverture ou d’isolation
- Nourriture pour animaux et poissons
- Gestion des maladies du sol
- Énergie renouvelable
- Récupération d’enzymes (par exemple α-Amylase, Laccase, Xylanase)
Pour cet article, je me concentrerais uniquement sur l’utilisation pour produire des champignons comestibles et médicinaux.
Vous avez donc deux possibilités pour le réutiliser. La première, c’est comme substrat de fructification pour produire des champignons. La deuxième, c’est de l’utiliser pour ensemencer un nouveau substrat. Regardons ça un peu plus en détail.
Pour la production d’un nouveau substrat de fructification
Vous pouvez donc réutiliser ce substrat usagé de champignons pour en produire un nouveau, si vous avez la possibilité de stériliser celui-ci. C’est très important, car le mycélium du précédent champignon est encore présent et vivant dessus. Une pasteurisation thermique ou chimique serait insuffisante, car le mycélium risque ne sera pas complètement éliminé.
Dans tous les cas, les substrats sur lesquels il y a des contaminations de type bactéries ou Trichoderma devraient être compostés et non réutilisés pour la création d’un nouveau substrat.
Pourquoi ? Et bien parce qu’un substrat usagé de ce type aurait une charge bactérienne bien plus importante d’un substrat usagé propre, et donc, la chance de réussite de la nouvelle culture serait alors moins importante, même après stérilisation.
Donc après la culture, il suffit de sortir le substrat du conteneur et de le broyer. Vous pouvez éventuellement attendre qu’il soit sec. Poursuivez l’expérience en le mettant dans un nouveau conteneur, généralement pour la stérilisation on utilise un sac en polypropylène autoclavable.
Ensuite, il faut rajouter de l’eau. Si vous avez séché le substrat, rajouter 60% d’eau. Si vous n’avez pas séché le substrat, la précédente culture ayant quand même puisé la majorité de ce qu’il y avait, vous pouvez peser le substrat et ajouter l’eau manquante pour atteindre une valeur totale de 60%.
Une fois le nouveau substrat réalisé, vous pouvez lancer la stérilisation, soit 1h30 à 2h à 15 psi pour ma part. Puis vous l’ensemencer, l’incubez et le mettez en fructification, comme un substrat classique.
À quoi s’attendre en termes de rendement ? Et bien généralement si on laisse le substrat tel quel, il y aura moins de champignons qui pousseront par rapport à un substrat neuf.
Par analyse des constituants, vous observeriez que le substrat comporte plus d’azote, mais très peu sous une forme immédiatement assimilable par nos cultures de champignons.
Dans une étude de 1992, les chercheurs ont découvert que 85 % de l’hémicellulose originale, 44 % de la cellulose originale et 77 % de la lignine originale n’ont pas été consommées lors d’un cycle de production complet de shiitaké.
Ces 3 molécules sont celles que les champignons consomment en majorité lors de leur croissance et fructification. Et quand on voit cette analyse, c’est en effet une bonne stratégie de réutiliser ces substrats usagés de champignons.
Mais les meilleurs résultats ont été obtenus en ajoutant environ 12% de supplémentation dans les substrats usagés pour obtenir un résultat similaire à un rendement classique, avec un substrat neuf.
Les limites concernent pour le moment la mise à l’échelle commerciale qui demanderait des tests poussés, notamment en termes de stérilisation du substrat et de prévention de la contamination.
Pour ensemencer un nouveau substrat
Pour remettre du contexte, l’ensemencement ou le lardage c’est le fait de rajouter du mycélium de champignon dans un substrat vierge de toute matière biologique.
Alors, utiliser un substrat usagé de champignon pour ensemencer un nouveau substrat n’est généralement pas une bonne idée, et ceux pour deux raisons :
Danger 1 : La contamination
Premièrement, vous avez beaucoup plus de chance de contaminer le nouveau substrat. En effet, le substrat usagé de champignon a déjà été exposé durant tous le temps de la première culture à l’atmosphère de la chambre de fructification.
Même si le substrat parait propre, il est possible que des contaminations latentes soient présentes dessus, et se relèvent lors de leur contact avec de la matière vierge.
Vous l’avez probablement déjà également compris, vous ne pouvez pas vous débarrasser des contaminants potentiels en stérilisant le mélange, sous peine de tuer le mycélium, censé ensemencer le nouveau substrat.
Danger 2 : La vitalité du mycélium
Le mycélium n’est, hélas, pas immortel. Au cours des cycles biologiques de culture, le mycélium se divise encore et encore pour conquérir les substrats que nous lui proposons.
Lors de ces divisions cellulaires, le patrimoine génétique est transmis d’une cellule à l’autre. Plus il y a de divisions cellulaires, plus les chances de perdre une information génétique en chemin augmentent, malgré des mécanismes de réparation. C’est ce que l’on appelle la sénescence, et elle peut influencer la croissance ou le rendement du champignon
De plus, après la fructification, le mycélium a subi une transition physiologique passant d’un stade végétatif à un stade de production de fruit. La reprise vers un nouveau stade végétatif peut donc ralentir le processus global de croissance du mycélium dans nouveau substrat. Contrairement à un mycélium qui serait en phase de division active, sur grain par exemple.
Comment réaliser l’expérience ?
Si vous souhaitez quand même faire l’expérience d’ensemencer un nouveau substrat avec un substrat usagé de champignon, voilà quelques conseils.
Tous d’abord, choisissez un substrat usagé propre, exempt de contamination (en tous cas de contamination visible !).
Ensuite, utiliser un nouveau substrat de type brut, sans supplémentation, si possible avec une pasteurisation chimique, qui laissera le milieu favorable pour les champignons, mais pas pour les autres micro-organismes durant quelques jours.
Pour l’espèce, choisissez des champignons agressifs, je vous préconise fortement les pleurotes, les champignons à l’incubation lente, type shiitaké, ne devraient pas être essayés dans ce type d’expérience. Plus il y a de latence entre le moment de l’ensemencement et la fin de l’incubation du substrat, plus vous augmentez les chances de voir apparaitre un contaminant.
Ensuite avant l’ensemencement, vaporiser à l’alcool le substrat que vous allez utiliser. Puis, si possible, prélever uniquement le cœur du substrat. Celui-ci a été protégé de l’atmosphère durant l’ancienne période de fructification.
Enfin, incubez le substrat et passez-le en fructification comme un substrat classique ! Si vous avez réussi, et bien bravo, c’est un beau défi de relever.
Conclusion
La réutilisation d’un substrat usagé à champignon peut être une opportunité pour le myciculteur qui sait comment l’utiliser. Si vous réutilisez un ancien substrat pour en créer un nouveau, pensez bien à le supplémenter, à le réhydrater et à le stériliser. Si vous utilisez un vieux substrat comme source biologique pour ensemencer un nouveau substrat, faites attention à utiliser un substrat brut que vous pasteurisez à la chaux. Choisissez un substrat usagé sur lequel ont poussé des champignons agressifs, et utilisez son cœur pour ensemencer le nouveau substrat. Attention tout de même à bien étudier ces processus avant de les inclure pleinement dans des cultures commerciales.
Merci d’avoir lu cet article, sur la réutilisation d’un substrat usagé de champignon ! Si vous avez des questions ou des remarques, n’hésitez pas à nous laisser un commentaire :).