[Podcast] Les Mycophiles #17 – Pierre Girard – Épisode 2 – À la rencontre de Gary Mills, pionnier de la morille en intérieur

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Culture de morille en intérieur et en extérieur : l’avenir de la moriculture avec Pierre Girard de Ceramica

Dans cet épisode du podcast Les Mycophiles, j’ai eu le plaisir de retrouver Pierre Girard, cofondateur de Ceramyca et spécialiste de la culture de morille en France. Après un premier échange passionnant, nous poursuivons notre discussion autour de son voyage aux États-Unis, de sa rencontre avec Gary Mills, de la recherche sur les bactéries symbiotiques comme Pseudomonas putida, et de toutes les innovations de Ceramyca pour structurer un véritable secteur de la moriculture. Voici un résumé complet et approfondi de notre conversation, enrichi d’analyses et de retours d’expérience sur la culture des morilles.

Une culture de niche qui gagne en maturité

Aujourd’hui, la morille est encore un produit rare, plutôt réservé à la haute gastronomie. Moins connue que le pleurote ou le champignon de Paris, elle suscite pourtant un engouement croissant. Pierre Girard constate lui-même l’explosion de la demande, au point que Ceramica envisage de limiter temporairement la fourniture de pods aux cultivateurs français pour éviter une surproduction qui dévaloriserait le marché. En clair : pas question de saturer un marché encore émergent. L’objectif est de garantir la rentabilité des producteurs, tout en accompagnant une montée en gamme maîtrisée.

Une baisse massive des importations chinoises

Un des points les plus marquants de l’échange concerne la chute brutale des importations de morilles chinoises : de 20 tonnes à 4 tonnes en une seule année. Les causes ? D’abord, un durcissement des contrôles phytosanitaires en Europe. Ensuite, des pratiques agricoles en Chine jugées problématiques, avec un usage massif de produits phytosanitaires rendant les morilles impropres à la consommation selon les normes européennes. Enfin, des blocages logistiques (morilles entassées dans les hangars) ont conduit à une saturation du marché asiatique. Résultat : une forme de relocalisation de la culture de la morille en Europe — une aubaine pour les moriculteurs français.

Deux grandes espèces cultivées : Morchella importuna et Morchella sextelata

Pierre nous explique que deux espèces dominent la culture actuelle de la morille :

  • Morchella importuna : précocité, rusticité, bon rendement. Elle fructifie dès la sortie de l’hiver, avec une hygrométrie facile à maintenir, car elle puise son humidité dans le sol. C’est la variété de base, la plus maîtrisée.
  • Morchella sextelata : plus tardive, mais avec un chapeau plus gros, un goût plus fumé, et une apparence très esthétique. Elle produit moins d’unités par m² mais chaque spécimen est plus lourd.
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En combinant les deux, on peut étendre la saison de production sur presque deux mois.

Le rôle des bactéries : Pseudomonas putida au cœur de la culture

Un des aspects les plus fascinants abordés dans cet épisode est le rôle crucial des bactéries, en particulier Pseudomonas putida, dans la culture des morilles. Cette bactérie symbiotique stricte est indispensable pour la formation des sclérotes — les organes de réserve qui précèdent la fructification chez la morille noire.

Sans elle, pas de fructification.

Mais ce n’est pas tout : ces bactéries jouent aussi un rôle fondamental dans le développement du goût des morilles. En apportant des lipides, elles enrichissent le profil organoleptique du champignon. Pierre note même que certaines morilles cultivées en conditions stériles ou trop aseptisées peuvent être “sans goût”, car privées de cette synergie bactérienne.

Ceramica travaille aujourd’hui à isoler et cultiver différentes souches bactériennes, en vue de proposer à terme des “cocktails microbiens” adaptés à chaque variété de morille. Un travail de recherche long, complexe, mais prometteur.

Le cas Gary Mills et l’origine de la culture de morille en intérieur

Pierre nous raconte également son voyage aux États-Unis où il a rencontré Gary Mills, ancien associé de Ronald D. Ower, le tout premier à avoir obtenu une fructification artificielle de morilles dans un bac. Gary, désormais chercheur indépendant, a mis 12 ans à reproduire cette prouesse de manière répétable, en utilisant notamment la souche Morchella rufobrunnea — une variété non symbiotique.

Mais ses morilles n’ont jamais rencontré leur public : goût trop fade, manque de lipides, absence de bactéries. Un comble, quand on sait que Gary a lui-même signé des travaux sur Pseudomonas putida… sans jamais l’avoir appliqué dans sa propre culture.

Ce récit met en lumière la complexité de la culture de morille en intérieur. Ce n’est pas simplement une affaire de température et d’humidité : sans une biologie microbienne bien comprise et maîtrisée, le produit fini ne convainc pas.

Culture de morille en intérieur : faisable, mais avec des limites

La culture de morille en intérieur reste un graal pour beaucoup de cultivateurs. Pourtant, elle n’a jamais réellement dépassé le stade expérimental :

  • Aux États-Unis, les premières tentatives ont échoué à cause de la mauvaise qualité gustative.
  • En Chine, les résultats sont intéressants mais coûtent cher et s’accompagnent souvent de dérives phytosanitaires.
  • Au Danemark, avec le Danish Morel Project, on teste aussi des systèmes sous capteurs, mais à petite échelle.

Pourquoi cette difficulté à scaler la culture de morille en intérieur ? D’une part, les coûts (énergie, main-d’œuvre, régulation climatique) sont élevés. D’autre part, sans la richesse bactérienne du sol, les morilles perdent en goût. Enfin, l’absence de saisonnalité rend le produit moins attractif pour les chefs.

En France, la demande chute brutalement après Pâques. Même si une production hivernale ou estivale devient techniquement possible (notamment avec Morchella rufobrunnea), l’intérêt commercial reste modeste… pour l’instant.

Vers une diversification des productions : les planches de culture

Ceramica ne s’arrête pas à la morille. Pour éviter que les cultivateurs ne dépendent d’une seule récolte annuelle, ils développent aujourd’hui un modèle de planche de culture, inspiré du maraîchage.

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Objectif : produire d’autres champignons en extérieur, en complément ou en rotation avec la morille. Pleurotes, shiitakés, nameko, Pholiota, chestnut… toutes ces espèces peuvent être cultivées sur des planches préparées en plein champ. Certaines sont même intégrées à un cycle multiannuel (culture sur bûches, décomposition lente, enrichissement du sol).

Le résultat ? Une activité mycicole à l’année, structurée, résiliente.

Culture sur bûche : un modèle complémentaire

Autre innovation : la culture sur bûche pré-inoculée. Ceramyca propose des bûches d’un mètre, déjà mycélisées en laboratoire avec des souches sélectionnées, notamment de shiitake.

Ces bûches peuvent fructifier jusqu’à 5 ans, sans presque aucun entretien : pas besoin de les manipuler, un simple système d’arrosage suffit. Mieux encore : elles peuvent être posées directement sur les planches de culture, formant un système mixte où le mycélium interagit à la fois avec le bois et le sol.

À terme, ces bûches se décomposent naturellement… et préparent le terrain pour une future culture de morille.

Parasites, pathogènes et erreurs de culture

Un autre volet essentiel abordé avec Pierre concerne les parasites. Deux grands ennemis :

  1. Les limaces : elles peuvent dévorer les morilles, mais surtout provoquer des blessures qui ouvrent la voie à d’autres pathogènes.
  2. Le dactylium (Dactylium dendroides) : un champignon pathogène qui attaque les morilles via les blessures ou l’humidité stagnante.

Pierre insiste sur le bon usage des granules anti-limace à base de phosphate ferrique : ils ne doivent être appliqués qu’au moment de la sortie des primordia, jamais avant. Sinon, les résidus farineux nourrissent… le dactylium.

De même, les cyanobactéries peuvent infecter les morilles via l’eau stagnante. Il est donc crucial de créer des buttes de culture bien drainées.

Reconnaître et cloner une morille : attention aux contaminations

Nous avons aussi évoqué les techniques de clonage de morilles. Une morille prélevée en forêt doit être jeune, saine, et manipulée avec soin. Si elle est trop vieille, elle risque d’être déjà contaminée par des décomposeurs comme Rhizopus stolonifer, un champignon qu’on retrouve aussi dans les corbeilles de fruits oubliées…

Le mycélium de morille est très fin et distinctif, mais il peut être confondu avec des contaminants si l’on n’est pas expérimenté. Une observation au microscope ou une comparaison avec un mycélium sain est vivement recommandée.

Le futur de la moriculture selon Ceramyca

Pour finir cet échange, Pierre nous partage les grandes lignes de la vision Ceramica :

  • Continuer à structurer le marché français tout en accompagnant le développement de la moriculture en Europe.
  • Répondre à la demande croissante via une production de qualité, stable, avec des souches testées pendant 3 ans avant commercialisation.
  • Former les cultivateurs : des vidéos, formations et accompagnements personnalisés sont proposés.
  • Intégrer l’intelligence artificielle dans l’accompagnement (diagnostic, recommandations, support client).
  • Tester de nouvelles espèces : sparassis crépu, collybie de la Saint-Georges, morilles d’automne, etc.
  • Concevoir un système complet de culture champignonnière de plein champ, sur toute l’année, en synergie avec les rotations de cultures et la biologie du sol.

Conclusion

La culture de morille en intérieur reste un défi technique et gustatif, encore réservé à des applications expérimentales ou saisonnières. En revanche, la culture extérieure, sur sol vivant enrichi de bactéries comme Pseudomonas putida, se développe rapidement, portée par des acteurs comme Ceramica.

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Le champ s’élargit désormais à d’autres espèces, à la culture sur planches, sur bûches, en rotation, avec une ambition claire : structurer une filière mycicole complète, durable, gastronomique, et ancrée dans le vivant.

Merci d’avoir écouté ce podcast avec Pierre Girard à la rencontre de Gary Mills, pionnier de la morille en intérieur. N’hésitez pas à nous laisser un commentaire si vous avez une question ou une remarque 🙂

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